In hommage to Juliette Hindian Guiragossian, wife of Paul Guiragossian and an artist in her own right.
Entre Paul et Juliette : la chimie et l’alchimie
Il est de notoriété que Paul Guiragossian est, pour le moins qu’on puisse dire, un grand peintre… Mais, dans son cas, la femme sensée se tenir derrière tout grand, elle, ne s’est pas contentée de ce rôle, d’être l’épouse aimante, la mère affectueuse, l’assistante attentive, le model inspirateur, la secrétaire vigilante, toujours là pour éviter à son époux prodigue la tentation de bazarder ses œuvres en offrant la dernière au premier intellectuel venu le visiter.
Pour avoir passé sa vie à s’occuper non seulement de son ménage et de sa progéniture, ce qui va de soit diriez-vous, mais aussi à assembler avec ardeur les châssis, tendre les toiles, fixer les cadres, les transporter, les accrocher et, après le dramatique accident de Paul, à servir d’infirmière, de chauffeur, d’impresario… elle a fini par se prendre au jeu, celui à la fois olympien et désinvolte, de l’art. Et c’est ainsi que, dans ses rares moments de loisirs, elle a pris les devants en s’en allant dans la nature planter son chevalet loin de l’atelier où sévissait le maitre. Résultat : une œuvre furtive que sa famille donne à voir aujourd’hui comme un hommage à la femme de leur grand homme de père, à une mère dévouée, celle-là même qui a servi avec une constate abnégation et un effacement total un homme chaleureux pour sûr, mais, du fait sans doute de sa complexion d’artiste, difficile à vivre, surtout dans les moments où surgit, comme une poussée hormonale, la frénésie de la création.
Certes, il y a plusieurs talents dans la famille de Paul, comme il y a une pléiade de compositeurs dans celle de Bach, des peintres chez Breughel l’ancien, des gens du cirque descendants du premier Fratellini (un autre Paul) et, plus proche de nous, des musiciens dans la mouvance de Assi Rahbani… Mais Emanuel, Jean-Paul et Manuela, les fils qui ont suivi la voie, le Tao de l’art, conviendront avec moi, que « l’original » demeure incomparable. Parceque son œuvre a été l’émanation d’un destin singulier, et aussi la condensation de l’esprit d’un temps qui porte dans sa substance les attentes, les véhémences et les stigmates de tout un peuple.
Cependant, les peintures de Juliette ne doivent apparemment rien à celles de Paul. En aucun endroit on ne décèle quelques apparentements esthétiques ou formels. Preuve, si besoin est, d’une certaine authenticité, j’ai failli dire une certaine ingénuité. Et peut-être aussi d’une tentation d’indépendance. Et cette particularité lui confère, au départ, une insigne plus value. Peu importe, dès lors, la valeur intrinsèque de ses toiles. Etre la compagne d’un artiste prestigieux sans en être l’ombre est un exercice ardu dans lequel beaucoup de femmes ont échoué. Cependant, à bien regarder, quelque chose de mystérieux transparait ca et là, fruit d’une vie en commun où l’art, par delà la famille, a été le principe moteur. Evidement, ce n’est pas parce que Berthe Morisot a posé pour Manet ou que Camille Claudel a servi de model à Rodin qu’elles sont inscrites au palmarès de l’art moderne. Mais tout de même…
Pour les occidentaux, il semble que, dans un couple, il se produit quelque chose comme une chimie et qu’avec le temps ils finissent, le mimétisme aidant, par se ressembler, parler sur un même ton, avoir la même écriture ou des idées semblables. Pour les asiatiques, c’est par l’imbrication des énergies qui sourdent de l’aura de chacun qu’une alchimie s’opère. Pour une vie… et dans l’espérance d’une autre. Peut-on dès lors insinuer que Juliette peintre, c’est un peu une manière de Paul même si, à la confrontation, leurs styles sont plus qu’antinomiques ?
Jalal KHOURY